« La vente, ça ne s'apprend pas. Tu as la fibre ou tu ne l'as pas ». Vous avez sûrement déjà entendu cette phrase...
Dans l'esprit collectif, et même dans l'esprit de nombreux professionnels de la vente, être un bon commercial n'est pas une question de diplôme. Il suffit d'avoir du bagou, de savoir gérer l'improvisation et de sortir les bonnes phrases au bon moment. Pourtant, le métier de commercial évolue vite et les directions (directeurs commerciaux) demandent de maîtriser de plus en plus de produits complexes, d'outils et de techniques de vente nouvelles.
Les entreprises ont besoin de vendeurs capables de suivre l'évolution du marché, de s'adapter rapidement et se tournent vers les jeunes diplômés. Faut-il donc avoir BAC+5 pour jouer dans la sélection d'un poste de commercial ?
La question des diplômes divise...
Bien sûr, quand il s’agit de commerciaux terrain aux cycles de vente simples, non techniques, normalisés et répétitifs, la question ne se pose pas. Les seuils de recevabilité descendent à BAC+2, voire niveau BAC. En revanche, quand les commerciaux doivent être capables de vendre des solutions complexes, à forte valeur ajoutée technique, auprès de décideurs d’entreprises, bien des patrons mettent la barre à BAC+4 minimum. L’analyse des résultats du test de réflexes commerciaux le plus diffusé en France (Uptoo Sales Test) montre qu’il n’y a pas de corrélation flagrante entre le niveau d’études et la maîtrise des techniques fondamentales de vente mesurée au travers de ce test. Une classe d’HEC s’est même prêtée au jeu en avril 2012 et s’est vue flanquée de résultats inférieurs à la moyenne générale, brassant, elle, tous les niveaux d’études de l’autodidacte à l’école de commerce plus ou moins réputée.
Être commercial ne s'apprend pas à l'école
Ce qui est certain, c’est que le commerce ne s’apprend pas à l’école, et même dans les écoles de commerce. Certains grands établissements ont même supprimé le mot commerce de leur nom pour le remplacer par celui de management (c’est le cas de l’EM Lyon – école de management de Lyon – ex Ecole supérieure de Commerce de Lyon). Les brillants étudiants en école de commerce ou en troisième cycle planchent sur des cas pratiques de marketing, de management, de conduite du changement mais jamais ils ne simulent un jeu de vente. Seuls quelques organismes de formation plutôt anglo-saxon dispensent des cursus approfondis sur ces sujets mais toujours à des fins de formation professionnelle, jamais dans un cadre étudiant. A part dans quelques BTS commerciaux, les cours sur la vente n’existent pas, ni en école, ni en université. A croire que plus on monte en gamme, moins on apprend le commerce. Et donc que finalement, les études pour être commercial n'existent pas…
Effectivement, les performances d’un commercial sont souvent attribuées bien souvent plus au tempérament qu’à des compétences techniques. Un bon commercial réussit parce qu’il a « faim », qu’il a envie, qu’il a la niaque, qu’il travaille, qu’il est malin. Il prospecte sans faiblir car il n’a peur de rien, il a de l’aplomb, il sait se relever quand il prend des coups. Il gagne devant ses compétiteurs car il écoute mieux que les autres et car il pose des questions. Il sait bien comprendre le besoin du client et y répondre chirurgicalement. Il laisse les autres se tromper avec des offres mal ciblées. Il séduit ses interlocuteurs car il est souriant, sympathique, empathique. Mais il est fort grâce à son tempérament mais pas parce qu’il a un BAC +5 en poche.
Qualifications : Des patrons de plus en plus exigeants
Bons nombres de patrons demandent désormais des BAC +5. Ils veulent certes du tempérament mais ça ne suffit pas ; ils veulent aussi des commerciaux capables de réfléchir et pas seulement de se révéler dans l’action. Ils les veulent structurés, sachant s’organiser et gérer leurs priorités, sachant synthétiser des informations variées et nombreuses pour en tirer l’essentiel et avancer de manière sécurisée. Et puis ils les veulent d’un bon niveau de culture générale pour leur permettre d’être crédibles en face de décideurs d’entreprise. Ils ont besoin d’un bon niveau rédactionnel, et s’imaginent qu’un BAC +4, lui, ne fait pas de fautes d’orthographe. Et puis, ils les veulent évolutifs, capables aussi de prendre à terme des fonctions de management.
Et nous qui recrutons des commerciaux toute la journée, qu'en pensons-nous ? Et bien socialement, ça aide d’avoir fait des études et que c’est même souvent indispensable pour sortir du lot, surtout dans des entreprises où le niveau des cadres est élevé. C’est aussi une sorte de passeport qui évite d’avoir à fouiller en entretien d’évaluation sur les questions d’intelligence situationnelle, d’esprit de synthèse et de projection du candidat, sujets toujours difficiles à manipuler par des non professionnels du recrutement. Enfin, choisir de faire plus d’études peut laisser penser que l’on est plus exigeant que la moyenne et que l’on construit son parcours de manière volontaire, donc que l’on fait partie des « Happy Few » les plus ambitieux.
Sortir du lot avec un BAC +5
Un BAC +5 sort plus facilement du lot grâce à l’a priori positif qu’il donne au recruteur. Il rassure, il est considéré d’emblée comme naturellement évolutif. Et c’est bien le danger car le recruteur présume sans vérifier, alors que le risque de non évolutivité est à mon avis tout autant significatif pour des BAC +4 que pour des BAC+2. Sans compter qu’au-delà de cinq à dix années d’expérience, bien des recruteurs s’accordent pour dire que le niveau d’études ne joue plus sur les compétences du candidat.
Nous entendons tous les jours des patrons se plaindre qu’une partie de leurs commerciaux, même BAC +5, sont incapables de structurer leur action commerciale, de bâtir un plan de compte sérieux, une stratégie de vente sur des dossiers compliqués. Ils ne savent pas planifier et organiser leur temps sans le subir, la tête enfouie dans l’action et la relation commerciale. Du coup les conséquences sont graves : perte de deals par manque de recul, manque d’anticipation, d’initiatives ou incapacité à construire des approches sur mesure. Etre BAC +5 ne rend pas plus à l’aise quand il s’agit de trouver des solutions créatives plutôt que de se plaindre au management, quand il s’agit de contourner des obstacles plutôt que de les forcer. Les meilleurs candidats sont ceux qui sont résolument orientés résultats : je suis seul responsable de mes résultats et quand quelque chose ne va pas, c’est ma faute de ne pas l’avoir anticipé et moi seul doit me débrouiller pour y remédier. Et avoir un BAC+5 ne change pas grand-chose à l’acquisition de cette positive attitude.
Conseils aux patrons : sélection et recrutement
En fait, la question n’est pas vraiment le niveau d’études mais plutôt le niveau de difficulté et de sélection des études faites. Tous les BAC +5 ne sont pas les mêmes. Les formations universitaires n’ont pas toutes le même degré d’exigence. Par exemple, chacun sait que les cursus de Dauphine sont plus exigeants que ceux d’autres facs, et que les barrières à l’entrée sont bien plus fortes. De même, rentrer en école de commerce par équivalence n’est pas équivalent à passer par une classe préparatoire où l’on demande aux candidats de travailler beaucoup, pendant des délais longs et dans un environnement très concurrentiel.
Si l’on souhaite être élitiste dans les processus de recrutement, alors soyons le jusqu’au bout et privilégions ceux qui ont effectivement du se concentrer plus que d’autres dans la durée, réfléchir, apprendre, synthétiser, restituer plus que d’autres auprès d’évaluateurs plus exigeants que d’autres. Si vous devez recruter et si vous n’êtes plus au fait des classements et des réputations de tel ou tel cursus, pourquoi ne pas demander tout simplement aux candidats de vous exprimer ce qui était dur dans leurs études et de vous parler des moments où ils ont du se surpasser. Vous risquez un grand moment de solitude quand la plupart d’entre eux vont vous demander, gênés, de reformuler votre question… tellement elle est compliquée ! Dur dur d’être bon commercial !